Science et Conscience

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Pascal, grand mathématicien et physicien en son temps écrivait : « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie ». De l’observation de l’infiniment petit à celle de l’infiniment grand, trois siècles plus tard, les plus illustres physiciens (dont Einstein) ont eu du mal à se situer face au vertige que leur inspirait la théorie quantique. Admettre que « l’observateur interagit instantanément avec l’objet observé », c’était s’afficher avec une vision « mystique » de la réalité difficilement compatible avec la prétendue objectivité de la science. Comme le résument ici titre et sous-titre de cet article du médecin américain Alan Steinberg.

Pourquoi les physiciens ne veulent pas comprendre la mécanique quantique

Faire ainsi reviendrait à adopter une vision du monde « mystique ».

par Alan J. Steinberg, docteur en médecine
Publié le 21 septembre 2021 (Psychology ToDay)

Cet article intervient en réponse à celui d’un autre médecin américain, le Dr Robert Lanza (Effets quantiques dans le cerveau), également publié sur le portail Psychology Today

POINTS CLÉS
Les psychologues et les scientifiques ont eu du mal à comprendre la conscience parce qu’ils ne voulaient pas accepter ce que la mécanique quantique leur disait.

Depuis le siècle dernier, une des théories les plus abouties de la science – la mécanique quantique –  établit qu’en définitive, tout est conscience.

Si nous admettons que tout est conscience, bon nombre des problèmes les plus difficiles de la science et de la psychologie pourraient être résolus.

Dans un article publié en 2019 sur New York Times Opinion , le physicien Sean Caroll écrivait :« Même les physiciens ne comprennent pas la mécanique quantique. Pire, ils ne semblent pas vouloir la comprendre ». Selon lui, peu de départements de physique moderne ont des équipes qui travaillent sur les fondements de la théorie quantique. Au contraire, les étudiants qui montrent un intérêt pour le sujet sont doucement mais fermement écartés​, parfois avec un avertissement du genre : « Tais-toi et calcule ! »

Mais pourquoi donc les physiciens ne voudraient-ils pas comprendre la théorie la plus aboutie de la science ? Et pourquoi décourageraient-ils leurs étudiants de s’y essayer ? Sur la base de l’histoire des débuts de la mécanique quantique, ma théorie est que ces scientifiques savent déjà où une telle compréhension les mènerait. Cela conduit à une vision « mystique » du monde détenue par la philosophie védique orientale et d’autres philosophies occidentales selon laquelle, en définitive, tout est conscience. Cette vision du monde a été et reste difficilement acceptable pour l’establishment de la physique (voir l’article de Juan Miguel Marin en 2009 dans European Journal of Physics intitulé Mysticism in quantum mechanics : the forgotten controversy).

Mais les résultats déconcertants de certaines expériences en mécanique quantique font de l’adoption de cette vision mystique du monde une voie élégante pour concilier les aspects contre-intuitifs de la mécanique quantique elle-même. Si nous adoptons cette vision du monde, non seulement la mécanique quantique devient plausible, mais elle pourrait résoudre l’un des problèmes les plus difficiles et les plus fondamentaux de la philosophie. Le philosophe David Chalmers l’a appelé le dur problème de la conscience … qui est d’expliquer pourquoi et comment nous avons des expériences personnelles à la première personne, et comment notre cerveau peut produire de telles expériences.

La conscience est inséparable de la théorie quantique

En 1931, le père de la mécanique quantique, Max Planck, a évoqué l’une des controverses majeures à la base de la théorie quantique alors en évolution lorsqu’il a déclaré : « Je considère la conscience comme fondamentale. Je considère la matière comme dérivée de la conscience ». Cela a été interprété par l’establishment de la science physique comme une vision « mystique » du monde , et parce qu’elle était considérée comme mystique, ils ont découragé leurs étudiants de l’étudier ou de l’adopter. La théorie quantique actuelle est-elle en accord avec cette affirmation ? Il s’avère que de nombreux physiciens préfèrent l’ignorer et balayer la question sous le tapis.

L’autre question majeur à la base de la théorie quantique que les physiciens ont essayé de balayer sous le tapis est que la conscience d’un observateur interagit et influence instantanément ce qui est observé. Dans son livre publié en 1944, What is Life ? With Mind and Matter, Erwin Schrödinger, qui fait partie intégrante de l’histoire de la mécanique quantique, écrit, « le sujet et l’objet ne font qu’un. On ne peut pas dire que la barrière entre sujet et objet soit brisée au vu des expériences récentes des sciences physiques, car cette barrière n’existe pas ». Son point de vue semblait mystique et en conséquence, les étudiants en étaient tenus éloignés autant que possible.

Au fur et à mesure que les données expérimentales ont été présentées à la communauté des physiciens au cours des années qui ont suivi, il est devenu de plus en plus clair pour les physiciens modernes que la vision mystique du monde pouvait être une interprétation plus appropriée des faits. En 1979, Bernard d’Espagnat, physicien théoricien français connu surtout pour ses travaux sur la nature de la réalité, écrivait « la doctrine selon laquelle le monde est composé d’objets dont l’existence est indépendante de la conscience humaine s’avère en conflit avec la mécanique quantique et avec des faits établis par l’expérience ». En 2011, Rosenblum et Kuttner ont publié le livre Quantum Enigma: Physics Encounters Consciousness, déclarant « La théorie quantique… nous dit que la réalité du monde physique dépend en quelque sorte de notre observation. C’est difficile à croire ». Et dans son article du New York Times Opinion cité plus haut, Sean Carroll écrit « [que la mécanique quantique] semble exiger des règles distinctes sur la façon dont les objets quantiques se comportent lorsque nous ne les regardons pas, et comment ils se comportent lorsqu’ils sont observés… Le tout semble déraisonnable… La conscience est-elle d’une manière ou d’une autre impliquée dans les règles de base de la réalité ? ».

Tout est connecté

Plus déraisonnable encore, Rosenblum et Kuttner écrivent : « La séparabilité a été le terme utilisé pour décrire en abrégé la capacité de séparer des objets, de sorte que ce qui arrive à l’un n’affecte en rien ce qui arrive aux autres. Sans séparabilité, ce qui se passe à un endroit peut instantanément affecter ce qui se passe au loin, même si aucune force physique ne relie les objets… Que notre monde actuel n’ait pas de séparabilité est maintenant généralement accepté, bien qu’il soit admis comme un mystère… Selon la théorie quantique, cette connectivité s’étend à tout l’univers… une connexion universelle dont nous n’avons pas encore compris la signification ». Si tous les objets – comme toute chose dans notre univers – ne sont pas séparés mais sont instantanément connectés et influencent tout le reste (Einstein parlait d’«action  à distance effrayante»), cela implique que ce qui les connecte se déplace à une vitesse infinie, ou alors que chaque objet et tout dans notre univers ne font qu’un. Certes effrayant ! Car difficile à comprendre. Comment donner un sens à tout cela ?

Changer notre vision du monde résout le problème

La vision « mystique » du monde, telle que présentée par la philosophie védique et par d’autres philosophies occidentales, propose un changement simple et fondamental de point de vue. Changement qui permettrait de comprendre les trois affirmations suivantes :

  • La conscience est fondamentale ; la matière est dérivée de la conscience.
  • Sujet et objet ne font qu’un.
  • Tous les objets de notre univers sont connectés et s’influencent instantanément.

Avec un tel changement de paradigme, et si nous supposons qu’en définitive tout est conscience, alors ces affirmations stupéfiantes, de même que le « dur problème de la conscience » de Chalmers et de nombreux autres problèmes, deviennent compréhensibles et peuvent être résolus.

Si nous acceptons cette vision « mystique » du monde, alors la déclaration de Max Planck, qui considère « la conscience comme fondamentale » et « la matière comme dérivée de la conscience », devient logique. L’affirmation selon laquelle « le sujet et l’objet ne font qu’un » a maintenant un sens car cela implique que le sujet réel de toute observation est la conscience, et que l’objet est fait de conscience. Et le fait que notre univers n’ait pas de séparabilité, que tout soit instantanément connecté, n’est désormais plus « effrayant » car si tout est finalement conscience, alors il n’y a qu’une seule chose dans notre univers, la conscience. Tout est connecté instantanément car tout est finalement la même chose, la conscience.

En admettant que tout est conscience, nous faisons du problème de conscience que Chalmers qualifiait de difficile, une question plus facile . Si tout est finalement conscience, alors l’expérience subjective est primordiale et fondamentale. Nous n’avons pas besoin qu’on nous explique comment les cerveaux peuvent produire de la conscience dès lors que nous présumons que les cerveaux ne produisent pas de conscience, mais qu’ils sont faits de conscience. Ils sont en quelque sorte les téléviseurs, les caméras vidéo et les écrans d’ordinateur qui permettent à notre conscience intérieure de faire l’expérience de ce que nous appelons le monde « extérieur », et qui est aussi en fin de compte la conscience.

Une réponse simple clarifie le problème

En résumé, si les physiciens étaient réticents à comprendre la mécanique quantique, c’est parce qu’ils savaient qu’elle les conduirait à une vision  « mystique » du monde, dure à digérer pour eux. Une vision selon laquelle tout est finalement conscience. Admettre que cela est vrai nous permet de donner un sens et de comprendre la mécanique quantique, de résoudre le dur problème de conscience de Chalmers et, je crois, de résoudre de nombreuses questions difficiles en science, en sciences sociales et en philosophie d’une manière élégante. La validité d’une vision du monde est souvent jugée et testée par sa capacité à expliquer et à simplifier des problèmes difficiles. Selon ce critère, une vision « mystique » du monde , selon laquelle tout est finalement conscience, passe le test avec brio.

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